CA Montpellier, 16 mars 2011, n0 10-03011

En droit, le cumul d’un mandat de gérant non associé avec un contrat de travail est licite dès lors que sont réunies les conditions de fond du contrat de travail, à savoir l’exercice de fonctions techniques distinctes du mandat social, exercées sous la subordination des associés et moyennant une rémunération distincte.

La charge de la preuve de la coexistence d’un contrat de travail et d’un mandat social revient en principe à celui qui s’en prévaut, c’est-à-dire au mandataire, quand le contrat de travail intervient après l’accès aux fonctions sociales.

 

Le cadre du litige est une SARL créée par une assemblée générale constitutive du 20 juin 2008 et comportant deux associés minoritaires personnes physiques, un associé personne morale (une SARL) majoritaire et une gé­rante non associée titulaire, outre du man­dat social non rémunéré, d’un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet à compter du 1″ août 2008, moyennant un salaire de 1 700 €.

L’intéressée a été révoquée par une as­semblée générale du 14 mars 2009. Néan­moins, un échange de courrier entre elle et les associés de la SARL révèlent un antagonisme sur la nature de la décision prise à l’égard de la gérante. Si cette der­nière prétend qu’il s’agit d’un licencie­ment, les premiers estiment au contraire que la mesure est une révocation.

Toujours est-il que le 8 avril 2009, la gé­rante a saisi en référé le conseil des prud’hommes de Montpellier aux fins d’obtenir la délivrance des documents lé­gaux de fin de contrat, ainsi que le paie­ment de ses deux derniers mois de salai­res, février et mars 2009. Ces demandes ayant été rejetées par ordonnance du 18 juin 2009, l’intéressée a saisi au fond la juridiction prud’homale le 9 juin 2009. Par jugement du 22 mars 2010, la sec­tion encadrement de cette juridiction s’est déclarée incompétente au profit du tribu­nal de grande instance de Montpellier.

La plaignante a alors formé un contredit par dépôt de mémoire aux fins de voir reconnaître sa qualité de salarié par ré­formation du jugement prud’homal. Elle a également interjeté appel par lequel elle demande à la cour, eut re autres, de réfor­mer le jugement se déclarer com­pétent et reconnaître sa qualité de sala‑

riée, dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamner la société à lui verser diverses sommes d’argent.

En ce qui concerne le cumul du mandat social et du contrat de travail, objet de notre propos, la cour d’appel de Mont­pellier rappelle que la licéité d’un tel cu­mul tient à la réunion des conditions de fond du contrat de travail, plus précisé­ment l’exercice de fonctions techniques distinctes du mandat social, exercées sous la subordination des associés moyennant une rémunération distincte.

La spécificité ou la technicité de l’activité salariée est constamment soulignée par les tribunaux statuant en la matière. La mission d’un dirigeant social est d’ad­ministrer et de gérer l’entreprise. Si le contrat de travail devait avoir un objet identique ou proche, il serait nul dès lors qu’il aurait été conclu après le mandat social. Ce contrat serait absorbé par le mandat social consenti postérieurement à sa signature. Le contrat de travail doit donc correspondre à un emploi effectif séparé du mandat social.

En outre, il ne saurait y avoir de cumul en l’absence à l’égard de la société d’un lien de subordination, élément caractéristique de tout contrat de travail. La réalité de ce lien ne s’apprécie pas par rapport à celui qui dicte les ordres, mais par rapport à celui qui les exécute. Il s’agit alors de savoir dans quelle mesure l’intéressé peut, en raison de la fonction de dirigeant qu’il assume au sein de la société, échapper aux directives qu’il pourrait recevoir en sa qua­lité de salarié. À cet égard, la jurisprudence tient compte de la détention du capital social par le dirigeant, de l’ampleur de ses pouvoirs et du monopole des connaissan­ces techniques, pour se prononcer sur l’existence ou non du lien de subordina­tion.

Les faits de l’espèce trahissent tout à fait l’existence d’un lien de subordination, d’autant plus que le gérant n’est pas as­socié, la jurisprudence niant toute situa­tion de subordination au gérant majoritaire. La gérante intervenait effectivement en tant que respon­sable de l’agence de Montpellier et était considérée comme telle par les associés. De surcroît, la SARL avait fourni les conditions matérielles d’exer­cice de cette activité.

D’ailleurs, les courriels envoyés par les deux associés de la SARL révèlent que la gérante travaillait dans le cadre d’un ser­vice organisé dont les conditions étaient unilatéralement déterminées par le cocon­tractant. Parallèlement, des directives et ordres précis étaient donnés à différentes agences, en particulier celle de Montpel­lier dont elle avait la responsabilité, ce qui excluait toute confusion avec le man­dant social. La mandataire social recevait des instructions en matière de paye à en­voyer au comptable après établissement d’un tableau spécifique ou sur les taxes d’apprentissage et cotisations de forma­tion professionnelle. Un compte rendu avait également indiqué l’autorité et le contrôle exercés sur l’agence tenue par la gérante pour faire le point sur l’état des lieux, l’organisation générale du réseau, le niveau commercial…, ainsi que les objec­tifs à atteindre.

Même la formule du dernier courriel du 2 mars 2009 relatif aux convocations à l’assemblée générale a dénoté la position subalterne de dépendance qui caractéri­sait celle de la gérante.

Dans l’actuelle affaire, l’intéressée a bien perçu un salaire pour sa fonction de res­ponsable d’agence, aucune rémunération n’ayant été prévue pour l’accomplisse­ment du mandat de gérant non associé. Pour l’activité subordonnée, elle avait reçu des bulletins de salaire. L’établisse­ment de tels bulletins ne suffit pas à ca­ractériser le cumul de fonctions, car en tant que titres que l’on se crée à soi, ils n’ont pas de valeur probante, même s’ils constituent des éléments non négligea­bles. Ce n’était pas le cas en l’espèce ; c’est l’expert-comptable et non la gérante elle-même qui avait établi les bulletins de salaire, leur conférant ainsi valeur proba­toire.

La juridiction d’appel signale également que, conformément au droit commun, c’est au dirigeant qui se prévaut de l’exis­tence d’un contrat de travail, par consé­quent du lien de subordination qu’il pré­tend avoir existé parallèlement à son man­dat social (28), d’en apporter la preuve, quand ce contrat intervient après l’accès aux fonctions sociales (29). Corrélative­ment, le fardeau de la preuve incombe à celui qui en conteste la réalité ou en in­voque la cessation (30).